La rocaille blanche que l’on scrute pierre à pied, les chevilles qui se tordent, les mollets s’endurcissent, la sueur qui picote, nous mènent lentement et sans qu’on s’y attende au replat qui soudain dégage l’horizon. Là, devant soi, quand le souffle reprend, le vent frais tourbillonne, une gamme de bleus multiples se lie aux transparences, berceau limpide protégé de murailles portant les traces d’une poussée tellurique, visage de nourrisson fripé pour l’éternité. Les dents sombres forment un cirque de pierre enserrant l’ovale bleuté d’où sautent d’invisibles chimères, laissant comme seule trace des cercles concentriques bientôt estompés. Tandis que le corps lentement se dilue dans les gravas cosmiques, vibre en d’autres temps quand l’homme n’était pas là, quand il ne sera plus, on n’est alors plus rien, transpercé, invisible, léger comme la plume, sans la moindre existence que celle, sans limites, qui réduit à néant dans un éclat de rire, et l’on jouit comme jamais d’être ainsi effacé.
Carte blanche



Dans ce long couloir traversé au premier matin s’alignent pétrifiées, ficelées sur leur fauteuil en skaï, des gorgones effrayantes râlant, bavant, souvent assoupies, visages émaciés et pétris de douleur, membres tordus, desséchés jusqu’à l’os, avant-bras et mollets tachetés de bleus jaunâtres. A l’effroi qui saisit le nouvel arrivant face à ces corps contraints se substitue lentement un autre paysage, quand au bout de quelques semaines il découvre les vrais monstres aux sourires d’ange portant blouses blanches.

Comme des grappes ils grimpent sur ton corps, comme un arbre chancelant tu tentes de les retenir, tous, culs mouillés, mains voraces, odeur de pisse, grands yeux sombres implorants, tandis que dans un coin, l’enfant tombé de la meule et depuis interné, déchiquète méticuleusement sans faillir à coups de dents le ballon serré entre ses mains. En quelques secondes, une minute à peine, il n’en reste qu’une poignée de lanières parfaitement rectilignes qu’il abandonne vite. Et quand la surveillante, passant quelques instants, critique qu’on ne changeât pas ces enfants souillés, tu hurles sèchement ta rage, qu’à être face à tant, tu préfères donner, plutôt que de l’hygiène, un peu d’amour au moins.

L’entre-deux, l’entre-lieux, l’entre-faire,
Entre le deux,
Contre le un croise le fer
Écartelé, gis, tiraillé tu t’agites
L’angoisse creuse sa combe,
En ton corps soufflent de mauvais vents
Tu crains d’être emporté à la moindre bourrasque,
Sursaute ! claquement de porte
La part obscure sortie de ton hiver,
Sauras-tu la calmer, lui faire entendre foi ?
L’emporteras-tu dans ta besace ?
T’emportera-t-elle dans son chaos ?
Ô risque, la pétrification
Les murs tremblent, le soir s’estompe,
Les nuits, peuple d’êtres malveillants,
Drôle de cri étouffé surgi en t’éveillant.
Tu t’agites, tu te bats,
Tentes de les contenir,
Le matin on voudrait disparaître.
Puis
Doucement
Le calme
Se souvient